Mood #AnaisNin #litterature #Art
Radclyffe Hall, Le Puits de solitude
Emile Zola, La Faute de l'abbé Mouret, 1875 / Illustration : Arthur Hacker (1858–1919)
Là, ce fut une volupté dernière. Les yeux grands ouverts, elle souriait à la chambre. Comme elle avait aimé, dans cette chambre ! Comme elle y mourait heureuse ! À cette heure, rien d’impur ne lui venait plus des Amours de plâtre, rien de troublant ne descendait plus des peintures, où des membres de femme se vautraient. Il n’y avait, sous le plafond bleu, que le parfum étouffant des fleurs. Et il semblait que ce parfum ne fût autre que l’odeur d’amour ancien dont l’alcôve était toujours restée tiède, une odeur grandie, centuplée, devenue si forte, qu’elle soufflait l’asphyxie. Peut-être était-ce l’haleine de la dame morte là, il y avait un siècle. Elle se trouvait ravie à son tour, dans cette haleine. Ne bougeant point, les mains jointes sur son cœur, elle continuait à sourire, elle écoutait les parfums qui chuchotaient dans sa tête bourdonnante. Ils lui jouaient une musique étrange de senteurs qui l’endormait lentement, très doucement. D’abord, c’était un prélude gai, enfantin: ses mains, qui avaient tordu les verdures odorantes, exhalaient l’âpreté des herbes foulées, lui contaient ses courses de gamine au milieu des sauvageries du Paradou. Ensuite, un chant de flûte se faisait entendre, de petites notes musquées qui s’égrenaient du tas de violettes posé sur la table, près du chevet ; et cette flûte, brodant sa mélodie sur l’haleine calme, l’accompagnement régulier des lis de la console, chantait les premiers charmes de son amour, le premier aveu, le premier baiser sous la futaie. Mais elle suffoquait davantage, la passion arrivait avec l’éclat brusque des œillets, à l’odeur poivrée, dont la voix de cuivre dominait un moment toutes les autres. Elle croyait qu’elle allait agoniser dans la phrase maladive des soucis et des pavots, qui lui rappelait les tourments de ses désirs. Et, brusquement, tout s’apaisait, elle respirait plus librement, elle glissait à une douceur plus grande, bercée par une gamme descendante des quarantaines, se ralentissant, se noyant, jusqu’à un cantique adorable des héliotropes, dont les haleines de vanille disaient l’approche des noces. Les belles-de-nuit piquaient çà et là un trille discret. Puis, il y eut un silence. Les roses, languissamment, firent leur entrée. Du plafond coulèrent des voix, un chœur lointain. C’était un ensemble large, qu’elle écouta au début avec un léger frisson. Le chœur s’enfla, elle fut bientôt toute vibrante des sonorités prodigieuses qui éclataient autour d’elle. Les noces étaient venues, les fanfares des roses annonçaient l’instant redoutable. Elle, les mains de plus en plus serrées contre son cœur, pâmée, mourante, haletait. Elle ouvrait la bouche, cherchant le baiser qui devait l’étouffer, quand les jacinthes et les tubéreuses fumèrent, l’enveloppèrent d’un dernier soupir, si profond, qu’il couvrit le chœur des roses. Albine était morte dans le hoquet suprême des fleurs.
Renée Vivien, Traduction d'une chanson polonaise, dans : Du vert au violet, 1903 / Illustration: Simeon Solomon, Sappho et Errinna dans un jardin à Mytilene, 1864.
Je hais celle que j'aime, et j'aime celle que je hais. Je voudrais savamment torturer les membres meurtris de celle que j'aime, Je voudrais boire les soupirs de sa douleur et la plainte de son agonie, Je voudrais étouffer lentement les souffles de sa poitrine, Je voudrais qu'un poignard implacable la mordit jusqu'au coeur, Et je me réjouirais de voir pleurer goutte à goutte tout le sang de ses veines. Je chérirais sa mort sur le lit de nos caresses... J'aime celle que je hais. Lorsque je l'entrevois dans la foule, je sens brûler en moi le voeu inguérissable de l'étreinte à la face du monde et de la posséder dans la lumière. Les paroles de rancune se changent sur mes lèvres en sanglots de désir. Je la repousse de toute ma colère, et j'appelle de toute ma volupté. Elle est féroce et lâche, mais son corps est ardent et frais, - une flamme fondue dans la rosée... Je ne puis voir sans trouble et sans regret ses regards de perfidie et ses lèvres de mensonge... Je hais celle que j'aime, et j'aime celle que je hais.
Colette, Le Pur et l'impur, 1932 (à propos de Renée Vivien)
Nos rapports amicaux n'eurent, cela va de soi, - devrais-je écrire : cela va de moi - rien de littéraire. Si je suis farouche sur le point de la littérature, et avare de paroles sauf que volontiers je m'écrie d'admiration, je rencontrai chez Renée une parfaite pudeur de métier, un silence de bonne compagnie. Ses livres, qu'elle me donnait, elle les cachait chaque fois sous un bouquet de violettes, un panier de fruits, un lé de soierie orientale... Elle m'a dissimulé les deux aspects littéraires de sa brève existence: sa tristesse et son travail. Où travaillait-elle? A quelles heures? Le spacieux, sombre, fastueux et changeant logis de l'avenue du Bois ne parlait point de travail. On a peu et mal dépeint ce rez-de-chaussée de l'avenue du Bois. Hormis quelques bouddhas géants, tous les meubles bougeaient mystérieusement, provoquaient un temps la surprise et l'admiration, puis s'en allaient...
Parmi des merveilles instables, voilée, mieux que vêtue, de noir ou de violet, à travers la nuit odorante des salons barricadés de vitraux, dans un air épaissi de rideaux, de fumées d'encens, Renée errait. Trois ou quatre fois, je la surpris accotée dans un coin de divan et crayonnant sur ses genoux. Elle se levait d'un air coupable, et s'excusait: "Ce n'est rien... j'ai fini thout de suithe..." Son long corps sans épaisseur, penché, portait comme un lourd pavot la tête et les cheveux dorés, et de grand chapeaux chancelants. Elle tendait en avant ses longues mains tâtonnantes. Ses robes couvraient ses pieds, elle allait frappée d'une gaucherie angélique et perdait en marchant ses gants, son mouchoir, son ombrelle, son écharpe...
A mon ombre / Illustration : Alphonse Osbert, Muse de la Fontaine, 1907
Droite et longue comme un cyprès, Mon ombre suit, à pas de louve, Mes pas que l'aube désapprouve. Mon ombre marche à pas de louve, Droite et longue comme un cyprès.
Elle me suit, comme un reproche... -- Malaise des mauvais matins, Qui se courbe sous les destins, Se ressouvient et se rapproche!... -- A travers les mauvais matins, L'ombre me suit, comme un reproche...
Mon ombre suit, comme un remords, La trace de mes pas d'ermite, De mes pas dont la crainte hésite, Vers l'allée où gîtent les Morts... Mon ombre suit mes pas d'ermite, Implacable comme un remords...
Pauline M. Tarn, Chansons pour mon ombre, 1907.
Charles Baudelaire, “Le Masque” − Les Fleurs du Mal (via artdelivre)
Charles Baudelaire, “Madrigal triste” − Les Fleurs du Mal (via artdelivre)
Pour @wilhelmyna <3
Charles Baudelaire, Poèmes divers − Les Fleurs du Mal (via artdelivre)
Charles Baudelaire, Poèmes divers − Les Fleurs du Mal (via artdelivre)
Hawthorne, La Fille du docteur Rappaccini, 1844 / Illustration : Fernand Khnopff, Arum Lily, 1895.
"Bientôt le portail sculpté livrait passage à une jeune fille vêtue avec autant de magnificence et de goût que la plu superbe des fleurs, une jeune fille belle comme le jour et dont le teint était d'un incarnat si riche et si splendide qu'un rien de plus eût suffi à le rendre trop profond. Elle semblait déborder de vie, de santé et d'énergie; et toutes ces forces étaient contenues, comprimées et, dans leur luxuriance, rigidement disciplinées, par sa ceinture de vierge. Pourtant, une exaltation maladive dut s'emparer de l'imagination de Giovanni, tandis qu'il abaissait son regard vers le jardin; car il eut l'impression que la belle étrangère était, elle aussi, une fleur, la soeur humaine de ces créatures végétales, aussi belle, plus belle même que la plus merveilleuse d'entre elles, mais, comme elles, ne pouvant être approchée qu'avec un masque et touchée qu'avec des gants. Alors que Béatrice s'avançait le long de l'allée, l'on put remarquer qu'elle prenait en main et humait les fleurs de plusieurs plantes qui son père avait soigneusement évitées."
Pierre Louÿs, Aphrodite, préface, 1896.
Anaïs Nin, Journal 1934-1939.
BATILLIAT, Marcel, Chair Mystique, 1897/ Illustrations : The Sensitive Plant, study, Sir Frank Dicksee
"Le jardin enchanta Marie-Alice, avec ses corbeilles de roses dont le parfum orgueilleux l'emplissait tout entier d'une ivresse vaporeuse et subtile. Chaque matin elle venait en cueillir pour les porter dans leur chambre d'amour, à profusion, sur les vieux meubles tout imprégnés du charme attendrissant des années depuis très longtemps révolues. Il y en avait de rouge-sang, clamant la gloire de leur éclat triomphal parmi la simplesse des petites feuilles vertes qui les nimbaient d'une sertissure sinopline ; d'autres, moins grosses et plus pâles, dont une roseur infiniment tendre paraît la délicieuse carnation : de jaune-clair, d'un jaune de jolie chlorose diaphane ; de toutes blanches aux pétales niveux ainsi que des lis. Les autres fleurs, aussi, les petits myosotis bleus qui bordaient les allées, les jacinthes aux couleurs stridentes, les oeillets dont la sveltesse s'enluminait encore de rosée, toutes les corolles d'or, de feu et d'émail, Marie-Alice les aimait comme elle aimait les trilles clairs des fauvettes, le ziziement des cigales, l'irradiation des jours ensoleillés, le cadre féerique dont s'emparadisait son bonheur. [...] Il trouvèrent des coins ravissants, tout exubérants de la vie renaissante, sous l'éclat vert des feuilles ensoleillées. Parmi les confuses harmonies du bois, les imprécises fleurances du vent, la déhiscence (ouverture naturelle des organes déhiscents) multicolore des calices, vaguait un érotisme immense, où ils retrempaient leurs énergies défaillantes en la lassitude des matins. Et ils devinèrent, comprirent, adorèrent la vie intense de la nature, dont la luxuriance leur sembla le symbole même de leur presque démente passion. Tour à tour charmante et tragique, la forêt surtout les impressionna: ils la virent toute pâle, fraiche, nimbée d'argent et endiamantée, ivre de l'apothéose de son réveil ; ils la virent exultant en la splendeur des midis d'azur et de feu ; ils la virent incendiée du colossal empourprement des soirs, et engendrant une telle émouvante mélancolie que tous deux frissonnaient, délicieusement attristés par la mort de l'Astre. Mais, surtout, ils l'admirèrent en la mystérieuse obscurité de la nuit, frémissante d'une vie prodigieuse parmi laquelle ils perdaient, en extase, la conscience même de leur bonheur. A l'unisson de la vie extérieure vibrèrent leurs âmes, et ils comprirent l'Ame des choses. Ils surent les mélancolies de l'eau et l'éternelle angoisse des étoiles. Et Marie-Alice se rappela la jolie fée rose entrevue naguère, aux mauvais jours, dans des rêves extasiés, ― la blonde apparition consolatrice qu'avaient idéalisée sa virginale névrose et son besoin d'aimer. C'était elle, peut-être, qui maintenant faisait éclore à leurs lèvres des baisers brûlants, elle qui les ravissait tous les deux en l'assomption des sensations extra-humaines, elle qui, parmi les hymnes virtuels et le rayonnement des couleurs inconnues, animait les éléments et les espaces, afin que toute la nature proclamât autour d'eux la magnificence glorieuse des outrancières amours."
(encore un livre qu’il faudra que vous lisiez, @wilhelmyna. C’est une réécriture de Tristan et Yseult. )
Iwan Gilkin, "Fleurs humaines" dans La Nuit, 1897 / Illustrations : Odilon Redon, Deux fleurs à tête humaine dans un vase, 1880
Sur l'eau d'ébène et d'améthyste Comme de larges nénufars, Les yeux tournés vers le ciel triste, Flottent des visages blafards.
Leurs tiges molles et charnues Sortent, comme des serpents verts, Du fond des vases inconnues Où grouillent des monstres divers.
Têtes d'amour, têtes mystiques, Têtes de rêve et de douleur, Têtes sublimes et tragiques, Têtes d'adolescence en fleur,
Toutes pâlissent et se meurent Et, regardant le ciel sans fin, Leurs yeux inconsolables pleurent La fange où naquit leur destin.
Gabriele d'Annunzio